La sagesse des Aurès vous interpelle M. le Président

Batna, la capitale des Aurès, a été la première étape de votre campagne électorale pour prolonger votre pouvoir par un troisième mandat, comme elle a été durant l’histoire la première wilaya qui a déclenché la guerre de libération.

Hélas, nous avons cessé de nous vanter de cette réalisation historique, car le rêve de la population des Aurès était le développement et la dignité, continuité historique du rêve des chouhada de la liberté et l’indépendance économique et sociale. Mais 50 ans après, les Algériens n’ont pas tous bénéficié de cette liberté et de cette dignité sur la base de l’équité et de l’égalité. Ce qui est valable pour l’homme l’est aussi pour les régions où les inégalités de développement sont criantes. Nous avons été étonnés et surpris lorsque le premier magistrat du pays nous a traités de « lèche-bottes » et avides devant un plateau de « makrouds », après avoir traité les habitants des monts de Djurdjura et de la vallée de la Soummam historique de « nains » et les habitants du Sud de « fainéants ». Chez Ibn Khaldoun, le sens historique et économique du concept « chaouia » ne se limite pas à la population des hauts monts des Aurès, mais à tout le territoire national.

La région des Aurès a certainement ses lèche-bottes du pouvoir en place et ses avides, comme toutes les régions, mais cette région historique a enfanté des symboles de l’amour du pays, de la justice, de la liberté, de l’indépendance et du sacrifice. L’histoire a inscrit avec leur sang les noms du Lion de la révolution, Mustapha Ben Boulaïd, le penseur de la révolution, Larbi Ben M’hidi, Abbas Laghrour, Si El Houès, Azil Abdelkader et d’autres qui ont ébloui les armes de l’OTAN. Cette région a enfanté El Kahina, Koceila et d’autres qui ont défendu l’intégrité du territoire national depuis Massinissa, ce qui montre que les Chaouia n’ont pas connu l’Algérie après l’indépendance, mais ils sont restés attachés à leur terre, la terre de l’Algérie éternelle. Cette région a aussi enfanté un homme devenu président de la République, au moment où le pétrole ne dépassait pas les 9 dollars et le terrorisme à son sommet et surtout au moment où beaucoup de responsables quittaient le pays et qui a démissionné au moment où l’Algérie a recouvré sa sérénité et le terrorisme était à sa fin pour vous permettre enfin de devenir président pour 3 mandats successifs ; c’est une preuve suffisante que les habitants des Aurès ne sont pas des avides, pour le pouvoir au moins. Cette région enfantera certainement d’autres enfants qui verront leur sort lié à ce pays éternel.

Nous ne doutons nullement de votre amour pour ce pays et pour chaque millimètre carré de son territoire, c’est pour ces raisons que nous souhaitons que ces dérapages dans vos discours soient dus à l’excitation de la campagne et qu’ils ne reflètent guère votre sentiment sur le peuple que vous gouvernez et que vous rectifierez ce dérapage par des investissements massifs pour le développement de ces régions citées. Nous attirons votre attention M. le Président, que la capitale des Aurès au temps de l’octroi de projets à coûts de milliards et de l’annulation des dettes douteuses par centaines de milliards, a été privée de la réalisation des deux barrages programmés avant votre arrivée au pouvoir, le premier à Tabaggart N’gaous et le second à Bouzina. Après 10 ans de votre pouvoir et après avoir engagé plus de 200 milliards de dollars pour la relance économique, qui n’est visible qu’à travers l’enrichissement scandaleux d’une minorité au détriment du bien-être de la majorité, les deux barrages restent toujours au stade de projet, alors que leur coût ne dépassait pas 1 milliard de dinars, mais leur impact, tant économique et social qu’environnemental, est inestimable. Les habitants de cette région, M. le Président, n’ont pas la prétention de demander un projet de la grandeur du « Palais des congrès » pour avoir l’insigne honneur d’accueillir la réunion de l’OPEP. Cette région, M. le Président, n’a pas la prétention de demander la réalisation d’un hôtel de la grandeur du « Sheraton » pour recevoir les principaux chefs d’Etat de ce monde. Cette région, en toute modestie, attend la réalisation de ces deux barrages pour pouvoir boire de l’eau et l’utiliser pour l’irrigation de ses vergers, source de ses revenus et de son attachement à la terre de ses ancêtres. Le rapport mondial des Nations unies de 2009 a lié le manque d’eau à la pauvreté. Combien j’aurais souhaité que les individus, qui se sont autoproclamés « notables » de cette région et « tuteurs des Chaouia » et qui se précipitent pour satisfaire les désirs du Président et de sa cour, se rappellent que cette région a des besoins vitaux, première Wilaya historique devenue dernière wilaya au plan du développement et de la croissance économique.

Nous avons eu beaucoup de patience durant l’histoire et nous connaissons les vertus de la résistance contre la nature, contre la faim et la soif, mais surtout contre le mépris des envahisseurs et des colonisateurs qui s’est toujours terminé par la victoire contre ces colons et ces envahisseurs. Nous résistons aujourd’hui contre la soif et le manque de développement, mais nous refusons que notre dignité et notre honneur soient atteints, car durant toute l’histoire, nous n’avons jamais perdu ces deux vertus qui incarnent l’homme des Aurès en particulier, et l’Algérien en général. La situation de la région des Aurès ne diffère en rien de la situation des habitants des autres régions de même configuration géographique comme les monts de Kabylie, les monts de Jijel, ni celle des monts de l’Ouarsenis ou les monts de Beni Chougrane... et ailleurs, des hauts lieux de la guerre de libération qui ont été marginalisés vivant dans la misère et le désespoir. Enfin M. le Président, la hantise du pouvoir aujourd’hui n’est pas votre réélection ou non, mais dans la menace du boycott qui risque d’être une sentence populaire.

L’opposition est diabolisée par le pouvoir en place et elle est traitée de tous les noms ; « l’opposition n’est pas une trahison, n’est pas un crime, n’est pas un blasphème politique, mais un devoir patriotique, quand on assiste à des dérapages politiques et économiques à la limite de la trahison et à ces scandales financiers devenus monnaie courante. L’opposition est le miroir du pouvoir, elle permet au pouvoir en place de minimiser les dégâts. Si elle est bien organisée et si le pouvoir en place est dans l’obligation de lui faciliter son travail, les plus grand gagnant de cette concurrence politique seront le pays et le citoyen ». Comment voulez-vous M. le Président que ces habitants, du patriotisme desquels on ne peut pas douter prennent au sérieux votre discours de campagne à sens unique pour aller voter le 9 avril, après qu’ils eurent découvert le long de ces décennies la misère, la marginalisation socioéconomique, la corruption à grande échelle, le suicide, la harga et les nombreux fléaux sociaux qui ont envahi même nos campagnes. Enfin, je souhaite que la sagesse et le bon sens l’emportent sur la haine et l’émotion et que l’Algérie redevienne par la démocratisation et les libertés ce pays qui a déclenché le 1er Novembre 54 et qui a été incontestablement la plus grande opération collective jamais entreprise par tous les Algériens à la fois et sur toute l’étendue du territoire national.



Par Bendrihem Haïder, El Watan du 01/04/2009

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